Ali Belkhiri, Consultant en TIC, organisateur des Salons Carrefour Emploi et Carrefour Formation «La crise économique et les évolutions technologiques ont modifié le marché de l’emploi»

Comment analysez-vous le marché de l’emploi, de la formation et des recrutements, surtout dans le contexte actuel ?

Durant les trois dernières années, l’Algérie a été confrontée à différentes crises internes et externes qui ont touché la majorité des pays du globe. Cela concerne l’épidémie du coronavirus, l’instabilité politique interne qui a suivi la destitution de l’ancien Président Bouteflika, la guerre Ukraine- Russie qui a permis l’augmentation des recettes des hydrocarbures mais aussi le gonflement des prix de nombreux produits alimentaires de base importés.

Cependant, la fin de l’épidémie du Covid19 et de la crise politique interne a permis à partir de 2022 de relancer l’activité économique qui, selon les prévisions du FMI, connait un taux de croissance de 4,7%, entrainant une nouvelle dynamique du marché de l’emploi en Algérie. Ce dernier enregistre un rebond au 1er trimestre 2022 avec une hausse du nombre d’offres d’emploi mais aussi de candidats prêts à saisir de nouvelles opportunités.

Dans la loi de finances 2023, le gouvernement a annoncé la création de près de 60 000 nouveaux postes de travail en 2023 au niveau de la fonction publique. Cette dynamique touche plusieurs secteurs employeurs comme la santé, l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, la formation professionnelle, la jeunesse et les sports, les finances, l'intérieur et la justice.

Le redressement de l’économie nationale est confirmé par le dernier numéro du Rapport de suivi de la situation économique en Algérie, publié par la Banque mondiale, qui déclare que « l’économie algérienne a poursuivi son redressement au cours du premier semestre 2022, à la faveur du retour de la production pétrolière à ses niveaux d’avant la pandémie et de la reprise constante de l’industrie, du secteur des services, conjugués à une activité agricole plus vigoureuse. Ce redressement devrait se poursuivre en 2023, soutenu par le secteur hors hydrocarbures et la croissance des dépenses publiques ».

Le rapport ajoute que les réformes structurelles décrites dans le plan d’action du gouvernement, qui visent à promouvoir l’investissement du secteur privé, seront essentielles pour créer des emplois. D’où la nécessité, à moyen et long terme, de faire du secteur privé hors hydrocarbures le moteur de la croissance et de la diversification de l’économie.

La poursuite de la mise en œuvre des programmes nationaux de réforme structurelle, l’ouverture accrue au secteur privé, l’amélioration de la compétitivité de l’économie et le renforcement de l’investissement dans le capital humain sont autant de facteurs essentiels à la vitalité et à la résilience économiques de l’Algérie.

Selon le FMI, le marché de l’emploi doit absorber un flux additionnel de demande d’emplois de 350 000 à 400 000 qui s’ajoute au taux de chômage estimé par le FMI environ 14%, incluant les sureffectifs dans les entreprises publiques, administrations, les emplois improductifs et l’emploi dans la sphère informelle. La sphère informelle représente 30/40% du total.

Le profil des demandeurs d’emploi a forcément changé ou sommes-nous sur la même configuration ?

Selon des informations et des données récupérées sur des sites spécialisés sur le net, les perspectives de recrutement pour 2023 pour le secteur économique public et privé sont positives et de nombreuses entreprises ont déclaré envisager de former leurs employés et d'accroître leurs effectifs pour répondre aux nouveaux besoins du marché. Du coté des candidats face au marché de l’emploi, la situation semble aussi évoluer, ceux-ci préférant la sécurité de l’emploi occupé plutôt que l’aventure d’un nouvel emploi et le risque d’une période d’essai. En effet, si on regarde les types de profils ciblés par les entreprises en 2022, la grande majorité s’orientait vers les profils expérimentés. Ces derniers ne nécessitant pas une grande période d’intégration et de formation, ils peuvent être opérationnels rapidement et participer au pilotage de l’activité de l’entreprise et répondre aux défis de croissance.

Les entreprises qui ne s'adaptent pas à leur environnement économique, politique et social sont condamnées à disparaître. Le marché de l'emploi et de la formation continue et professionnelle est sans cesse en mouvement. La législation évolue régulièrement pour s'adapter aux besoins et aux changements dans notre société, ainsi qu’à l'évolution des secteurs d'activité et des métiers. Le marché du travail Algérien peut être considéré comme peu performant. Non seulement il accuse un niveau de chômage élevé qui dépasse actuellement les 14 %, mais il se caractérise à la fois par un nombre important d’offres d’emploi non pourvues et par des difficultés de recrutement pour les entreprises de plusieurs secteurs, tels que l’agriculture, le tourisme, l’industrie, les services bancaires. L’une des causes de ce paradoxe réside dans une inadéquation entre les compétences des individus formés par l’Université ou les centres de formation professionnelle et les besoins réels des entreprises.

Le marché est aussi tributaire de la relance économique ?

Le marché du travail subit aussi d’autres pressions, à l’exemple de la poussée démographique croissante qui met sur le marché du travail et de la formation de plus en plus de candidats. Il existe aussi un marché du travail informel très important, comme on l’a dit plus haut.

La politique de l’emploi suivi ces dernières années par les autorités a donné des résultats positifs mais beaucoup reste à faire pour se rapprocher des normes internationales dans ce domaine, en particulier alléger les taxes et impôts professionnels, améliorer la communication entre le monde de la formation et celui de l’emploi, mieux diffuser les lois, procédures et règlements professionnels, encourager l’organisation de salons (formation et recrutement) et y participer pour diffuser l’information et encourager le développement de ces secteurs.

Récemment, le gouvernement a débloqué de nombreux projets qui étaient gelés ou bloqués et la Loi de Finances 2023 prévoit également le lancement de plusieurs nouveaux grands projets nationaux. Leur réalisation imposera l’implication des entreprises nationales publiques et privées. Pour le lancement de tous ces projets, ces entreprises seront obligées de recourir à la formation et à la mise à niveau de leurs ressources humaines pour se substituer à l’importation et aux entreprises étrangères.

La crise économique de ces 3 dernières années ainsi que les évolutions technologiques et organisationnelles ont fortement modifié le marché de l’emploi. Des secteurs ont périclité, à l’image du BTPH, des grands travaux d’infrastructures publiques (hôpitaux, routes, barrages), de la distribution automobile, l’industrie textile, certains secteurs de l’industrie qui ont atteint la saturation (minoteries). Par contre, d’autres secteurs ont été redynamisés : agriculture, aquaculture, industrie agroalimentaire, assemblage automobile, industries mécanique et électronique (civile et militaire), électroménager, industrie du recyclage, les énergies renouvelables (solaire, éolienne), mais surtout tous les secteurs liés à l’émergence de la nouvelle économie numérique et à la création d’entreprises et start-up locales (informatique, réseaux, internet, téléphonie mobile). Le tourisme aussi essaie de se développer, mais éprouve beaucoup de difficultés, causées par l’insuffisance des infrastructures hôtelières, le manque d’aménagement de routes et d’accès vers les plages ou la montagne, mais surtout par une mentalité et une culture rétrograde de certains éléments de la population.

Après l'épidémie du Covid-19, le digital et la numérisation ont impacté les métiers. Partagez-vous cette analyse ?

L'économie numérique, basée sur les TIC, a transformé de nombreux secteurs de l'économie (commerce, industrie, banques, santé, logistique, transport, agriculture, éducation, culture, défense, etc.), modifiant les modèles économiques et organisationnels. Elle a aussi modifié et améliorer le fonctionnement de l’administration locale, ainsi que les comportements des citoyens et des consommateurs.

C’est une évidence d’affirmer que la pandémie du Covid-19 a impacté, mais surtout accélérer la digitalisation de l’économie mondiale et sa transition vers l’économie numérique ou de la connaissance, avec ses nouveaux métiers et ses nouvelles méthodes management. Selon une récente étude du cabinet McKinsey, la crise sanitaire a accéléré la transformation digitale des entreprises d’environ 7 ans. Conduite en juillet 2020, cette étude a interrogé presque 900 cadres dans le monde, toutes tailles d’entreprises et secteurs confondus, sur les changements organisationnels et technologiques provoqués par la crise.

Pendant la crise de la Covid-19, les consommateurs ont massivement migré vers les canaux numériques pour effectuer leurs achats. Pour répondre à cette nouvelle demande, les entreprises ont dû digitaliser à toute vitesse leur offre de produits et services, et leur mode de distribution. Selon McKinsey, 55 % des interactions avec les clients sont désormais digitales en Europe, ce qui représente un bond en avant de 3 ans par rapport aux prévisions pré-crise. Dans certains pays, l'augmentation du trafic internet a atteint jusqu'à 60 % peu après le début de l'épidémie (OCDE, 2020), preuve s'il en est de l'accélération du numérique provoquée par la pandémie.

Comme dans le reste du monde, en Algérie, les mesures de lutte prises contre la propagation du coronavirus ont constitué un élément favorisant le processus de numérisation dans divers secteurs d'activité ; ce qui a permis de résorber, un tant soit peu, les retards accumulés dans ce domaine. En effet, de nouvelles formes de communication ont été adoptées depuis l'entrée en vigueur du confinement sanitaire, accélérant, de ce fait, la numérisation de l'administration et de plusieurs secteurs d'activité. Le confinement a entrainé la généralisation du télétravail permettant aux entreprises et aux institutions de continuer à fonctionner malgré les restrictions sanitaires en vigueur partout dans le monde. Internet est devenu pratiquement le seul moyen de garder un lien entre individus. Cette situation a également entrainé le recourt à la visioconférence avec les applications Zoom, Ms Team, Webex, ainsi qu’à un usage intensif des réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Viber, Skype, Telegraph, Linkedin, …).

Depuis, les réunions institutionnelles et événements se déroulent pour la plupart à distance. Les webinaires ont remplacé les classiques et coûteux séminaires et conférences, de même que les commerces en ligne ont connu un véritable boom. Le Covid-19 a été également un facteur pour introduire, par exemple, le téléenseignement au niveau des universités, les consultations médicales via des plateformes de télémédecine, le cartable électronique et l’école numérique, avec des émissions éducatives à la télévision, à la radio ou en ligne.

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